Vous êtes ici : Accueil > Les Actualités proches de vous > Hautes-Alpes : un éleveur sur la sellette

Hautes-Alpes : un éleveur sur la sellette

Accéder aux flux rss de notre siteImprimer la page

Il n’est pas contestable que la situation des éleveurs ovins, dans les Hautes-Alpes et au-delà, vient de connaître un épisode à la fois inédit et inquiétant

Jean-Marc Garnier, qui détient un troupeau de 1 200 brebis mères sur la commune de Ceillac, dans le Queyras, était convoqué à la barre du tribunal correctionnel de Gap le 20 septembre dernier, pour répondre de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de moins de trois mois, en l’espèce cinq jours, soit autant d’infractions commises par deux de ses chiens patous dont il a la responsabilité. Entre le 24 juin et le 11 août 2021, ces deux jeunes chiens de protection ont mal apprécié, est-il apparu, leur rôle de protecteur du troupeau et leur perception de randonneurs qu’ils ont considérés comme des intrus. À quatre reprises, ils ont mordu plus ou moins fermement des promeneurs. Et, selon un témoignage figurant dans l’enquête de gendarmerie, rapporté par le président du tribunal, Benjamin Banizette, d’autres incidents sans gravité sont survenus, causant du désagrément à plusieurs vacanciers. « Vos chiens ont provoqué un important trouble à Ceillac selon les gendarmes » complète-t-il.

La part d’inédit, dans cette comparution, tient évidemment au fait que c’est la première fois qu’un éleveur doit répondre d’un tel chef d’accusa-tion. « C’est rare un éleveur à la barre ! » a même précisé le magistrat qui pré-sidait les débats. 

Une cohabitation difficile

« Je reconnais les faits, mais les patous sont là pour protéger les bêtes, et ils n’étaient pas sans surveillance puisque le berger était présent. » Jean-Marc Garnier s’évertue à justifier les circonstances malheureuses survenues l’été dernier. « Les chiens n’ont pas fait la différence entre le loup et les promeneurs, ajoute l’éleveur. C’est leur raison d’être que d’éloigner tout intrus ». La cohabitation entre les chiens de protection et les randonneurs ou promeneurs est une difficulté qui ne date pas de cette année. « On nous demande d’avoir des patous ou autres chiens de protection » avait précisé le prévenu aux gendarmes. Lors des incidents en cause, seule une partie du troupeau était à la bergerie, les autres bêtes étant sur l’alpage d’estive. Tant le président du tribunal que le procureur de la République ont tenté d’éclairer objectivement les débats. « Personne ne nie que votre situation est compliquée. Est-ce un problème d’éducation des chiens, de dressage ? », a lancé le premier cité, qui ajoutait : « Le patou n’est pas un problème, le problème est qu’il y a des chiens mordeurs ». Le procureur, Florent Crouhy, avance « la possibilité d’une aide pour vous conseiller, vous aider à dresser les chiens ». Face à la répétition des faits, le président estime que l’éleveur a tardé à réagir. Et le procureur, dans ses réquisitions, interrogera peu après : « Qu’a-t-il fait entre la première et la dernière morsure ? » « J’ai gardé les patous dans la bergerie à partir du 27 juillet. Ils ont réussi à en sortir malgré la barrière », avait indiqué le prévenu. 

C’était le 11 août, jour du plus sérieux incident avec la morsure occasionnée à une promeneuse. Visiblement, les deux chiens mis en cause sont difficiles à maîtriser. « Ils m’obéissent plus ou moins » a indiqué la bergère aux gendarmes enquêteurs. Le procureur de la République devait expliciter sa décision « de renvoyer, pour la première fois, un éleveur devant le tribunal. Cette année, 23 plaintes pour morsures de chiens de protection ont été enregistrées, dont quatre pour le seul monsieur Garnier ». En sa qualité de propriétaire des chiens, « le prévenu est le seul responsable pénalement », ajoutait le représentant du Parquet qui a requis deux mois de prison avec sursis, « une peine d’avertissement et la nécessité de protéger les gens », deux amendes de 500 € et une de 150 €. Me Éric Arditti, pour la défense, rappelait le contexte de prédation auquel est confronté son client : « 25 attaques dans la commune de Ceillac en 2020 » et déclarait : « ce que craignaient les éleveurs depuis longtemps, c’était de se retrouver à la barre du tribunal ! » C’est donc chose faite désormais, et, outre l’aspect inédit, il y a sans nul doute celui d’une inquiétude grandissante. 1 200 chiens de protection de troupeau sont à ce jour présents sur le sol haut-alpin, sans comptabiliser ceux qui viennent de l’extérieur accompagnant les troupeaux provençaux notamment.

Les agriculteurs mobilisés et solidaires

Le conseil de Jean-Marc Garnier a réfuté la seule responsabilité de son client, citant une jurisprudence visant à mettre en cause le gardien du ou des chiens, en la circonstance, le berger. Il a aussi évoqué qu’en deux occasions au moins, les personnes mordues étaient proches du troupeau, alors que des panneaux conseillant de se tenir à distance sont disposés. Il repoussait le chef d’accusation de divagation, « car lorsque le chien est en action de protection, il ne divague pas ». Puis énonçait encore ce qui pourrait survenir bientôt : « En l’absence de patous, le nombre de bêtes prélevées sera plus important, ce qui entraînerait la fin de l’exploitation agricole ! »

Devant le palais de justice, une trentaine d’agriculteurs étaient présents pour soutenir Jean-Marc Garnier, dont le président de la chambre d’agriculture, Éric Lions, ceux de la FDSEA 05, René Laurans, des JA 05, Édouard Pierre, de la fédération régionale JA, Florian Pellegrin, ainsi que Christian Hubaud, vice-président du Département en charge de l’Agriculture.

Pour accentuer la détresse du monde de l’élevage haut-alpin, des carcasses de brebis ou agnelles victimes du prédateur dans la nuit précédant le procès avaient été dépo-sées devant les marches du tribunal et de la préfecture.

Article paru dans L'Espace Alpin n° 398 du 1er octobre 2021

A lire aussi

L’exaspération est à son comble

Les représentants syndicaux et le président de la chambre d'agriculture ont souhaité réagir immédiatement.