Vous êtes ici : Accueil > Les Actualités proches de vous > Prédation : “ Ne pas s'habituer à ce qu’il se passe ! ”

Prédation : “ Ne pas s'habituer à ce qu’il se passe ! ”

Accéder aux flux rss de notre siteImprimer la page

Les présidentes Christiane Lambert (FNSEA) et Michèle Boudouin (FNO) sont venues soutenir les éleveurs d'ovins haut-alpins

Ce qui se passe ? Ce sont les multiples attaques du loup survenues ces derniers jours et, même, dans les heures qui ont précédé la visite des deux responsables des instances syndicales nationales sur la commune d’Avançon, limitrophe de celle de La Bâtie-Neuve.

Le spectacle qui s’offre à elles, ainsi qu’à la préfète et aux dizaines de personnes sur place, serait à coup sûr difficilement supportable pour la plupart des citoyens ; une brebis par-tiellement dévorée et son agneau qu’elle était proche de mettre bas, dans sa poche de placenta, gisaient dans la prairie. Monin Giraud, l’éleveur concerné par cette attaque du petit matin, libérait l’agneau de sa gangue placentaire. Il interpellait la préfète, Martine Clavel, venue sur place en compagnie du directeur départemental du Territoire, Thierry Chapel. « Qu’est-ce que vous en pensez ? Ça vous fait un peu de peine ? », questionne l’éleveur dont la colère contenue est évidente. 

« Oui, bien sûr, ça me fait de la peine ! » répond la préfète, sans nul doute sincère. « Et vous, M. le directeur, tout cet argent mis à la prédation, et qu’en est-il des tirs de prélèvement ? », enchaîne le jeune éleveur. Le directeur départemental précise que les tirs ne sont pas à l’ordre du jour ; que 30 troupeaux ont été attaqués – dans une période récente – sur Avançon et La Bâtie-Neuve. Et cet aveu d’impuissance : « les louvetiers se demandent quel troupeau va être attaqué... » Voilà qui donne la dimension de la problématique de la prédation dans les Hautes-Alpes. Avec un canis lupus qui, manifestement, ne craint pas l’homme et s’approche sans vergogne des bâtiments d’exploitation comme ceux d’habitation. Son intelligence lui a fait comprendre depuis longtemps qu’il bénéficie d’une réelle impunité, en dépit de nombre de loups tués par autorisation des pouvoirs publics, sous le doux euphémisme de « tirs de prélèvement ».

« Les 35 heures, on les fait tous les deux jours ! »

Alors, ce dernier vendredi d’octobre, un « octobre rouge », dans la douceur automnale, la profession agricole et ses instances électives et syndicales, ont une fois de plus énuméré la somme de leurs inquiétudes et la crainte de leur avenir. 

Rendez-vous avait été fixé sur les exploitations de Stéphanie Lefèbvre et de Jérôme Disdier. Tous deux ont succinctement, mais fermement, exposé leur vie d’éleveur, faite de stress et de journées interminables. C’est-à-dire invivable. « On ne vous donnera pas cet héritage empoisonné ! » a déjà répété l’éleveur à ses enfants. « Les 35 heures, on les fait tous les deux jours ! » dans l’attente de la prochaine attaque… Et rappelé que « il y a quelques jours, un loup était aperçu à 200 m du collège de La Bâtie-Neuve ».

Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et depuis peu également présidente à l’échelle européenne des syndicats agricoles, dénonce le discours franco-français qui pointe du doigt l’élevage ovin national. « Nous avons les données de sept autres pays, dont l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, l’Autriche... dans lesquels ça se passe mal aussi car il y a une explosion du nombre de loups. » 

Elle réclame, ainsi que toutes les instances du monde agricole, « un comptage vrai des loups ; nous voulons procéder à un comptage avec la fédération nationale de la chasse, car les chiffres annoncés par l’Office Français de la Biodiversité ne sont pas crédibles ». Michèle Boudoin, présidente de la Fédération nationale ovine (FNO) précise : « Là où il y a le plus d’attaques, c’est là aussi où se développe le plus le loup ! » 

Les Hautes-Alpes en savent quelque chose, puisque l’un des territoires les plus impactés en France. Rappelons que le premier loup – en fait une louve – recensé dans les Hautes-Alpes l’a été en 1994. Régulièrement, la gestion du loup par l’État est considérée comme un échec par le monde de l’élevage ovin, le plus impacté. Édouard Pierre, président de JA 05, estime que « l’argent mis sur la prévention – 35 millions d’euros - devrait servir à installer des jeunes ». 

Lesquels, sans surprise, sont de moins en moins nombreux à choisir d’élever des brebis, proies faciles du prédateur. Alors même, assure Christiane Lambert, « que nous produisons seulement 44 % de la viande ovine consommée en France. Et que le pastoralisme est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco ! » Nombreux sont celles et ceux qui pointent le manque de cohérence des protecteurs à tout crin du loup et, de surcroît, peu enclins à la cause des éleveurs : « Ils réclament de la production locale, des circuits courts, et ils favorisent précisément le contraire ! » En outre, 85 % des brebis vivent sur des territoires défavorisés et/ou de montagne. « La disparition de ce cheptel conduira à la fermeture des paysages, en clair à l’abandon de ces territoires. »

« Faire comprendre au loup qu’il peut prendre une balle ! »

Une fois de plus, tout cela est répété à la représentante du gouvernement, pressée de faire remonter le désespoir des éleveurs au niveau gouvernemental. Lors de sa venue aux Terres de Jim, en septembre, le président de la République a évoqué une sorte de légitime défense des éleveurs face à la prédation.

Pour ces derniers, il ne s’agit que de mots. Ils réclament des actions efficaces, proclament qu’ils ne souhaitent pas l’éradication des loups, ce que leurs aïeux ont fait il y a un siècle, mais aspirent à une vie professionnelle et familiale « normale ». Éric Lions, président de la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes, a insisté sur « le découragement, la résignation qui gagnent  ; il faut un sursaut ! Notre département est sacrifié. Quand un loup arrive en Normandie, il est flingué ! ». À demi-mots, c’est un problème politique et sociétal qui est évoqué.

Ce dont la société française ne se doute absolument pas, c’est que la prédation du loup ne se borne pas à la mort de ses victimes directes. La brebis dont il est question plus haut sera certes indemnisée, mais pas l’agneau qui sera considéré comme mort-né ; et les agneaux orphelins de leurs brebis mères qui seront élevés au lait artificiel ne seront plus éligibles au label Agneau de Sisteron par exemple. Ainsi de suite... 

Pour l’immédiat, Michèle Boudoin presse les pouvoirs publics de « faire comprendre au loup qu’il peut prendre une balle en attaquant les troupeaux ! »

Maurice Fortoul

Article paru dans L'Espace Alpin n° 400 du 5 novembre 2021